Orge
Pourquoi utiliser l'orge
Le principal ingrédient pour faire de la bière, après l’eau, est le malt d’orge. L’orge est une céréale répandue, qui se cultive assez facilement avec de bons rendements (quintaux/hectare) et résistante à de nombreuses maladies aux noms assez barbares. Elle est vêtue : une enveloppe entoure la graine et la protège des moisissures aux champs, protège la plumule (germe) lors de la pousse (donc lors du maltage) et en plus cette enveloppe est un très bon média filtrant.
La composition biochimique de l’orge est adaptée (matières azotées, vitamines, glucides, sels minéraux…), le potentiel enzymatique est idéal, la température d’empesage de l’amidon est faible ( 62-63°C ) ( Rappel : à cette température, l’amidon qui à l’origine est compact comme une pelote de laine se déroule à cette température ce qui permet aux enzymes de couper les chaînes de polysaccharides en sucres simples transformés en alcool ensuite par les levures lors de la fermentation )
Orge d'hiver ou orge de printemps ?
Les orges d’hiver ( 2 rangs ou 6 rangs appelés aussi escourgeon ) ont besoin de vernalisation ( période de froid qui permet à la plante de produire un épi ). Les orges d’hiver doivent donc être résistantes au froid. Elles sont semées en automne et sont récoltées à partir de mi-juin selon les régions. Les rendements sont meilleurs que les orges de printemps. La qualité brassicole est un peu moins bonne que les 2RP.
Les orges de printemps n’ont pas besoin de vernalisation. Elles sont semées au printemps et sont récoltées à partir de mi-juillet. Elles ont besoins de moins de produits phytosanitaires que les 6RH mais le rendement est bien inférieur au 2RH/6RH. Par contre, la qualité brassicole est excellente. Les allemands par exemple ne brassent qu’avec du 2RP, c’est une hérésie pour eux de brasser avec de l’orge d’hiver ( orge à vache ). La France est mondialement réputée pour la qualité de son malt fait à partir d’orge d’hiver.
Perso, malgré ma faible expérience en brassage ( 80 litres en 4 fois ), j’utilise du 2RP car par rapport au 6RH, voici les qualités :
- Les matières extractibles lors du brassage sont plus importantes. Donc la quantité de malt peut être réduite pour un teneur en alcool identique.
- Le potentiel enzymatique est plus important. Les paliers devraient être plus courts que si on utilise de l’hiver ce qui semble logique, plus il y a d’enzymes, plus la transformation de l’amidon en sucres simples est courte.
- Pas ou peu de bêtaglucanes donc filtration plus aisée ( en théorie car je n’ai jamais fait de tests comparatifs )
En bref, je ne me prends pas encore la tête à adapter mes recettes en fonction de mes bulletins d'analyses malt. ( j'ai dis pas encore, il faut que j'apprenne )
Les brasseurs industriels utilisent beaucoup de 6RH surtout pour une histoire de prix. Une brasserie industrielle dans l’est de la France n’utilise que du 6RH car elle produit des bières low-cost que l’on trouve dans les Lidl, Aldi, leader Price, etc… Tout ce qui compte c’est la productivité et leurs équipements leurs permettent de prendre du malt de ce type avec un cahier des charges un peu plus souple.
En conclusion, les orges 2RP ont de faibles rendements agronomiques, le 2RH un peu plus et le top est le 6RH. Ces rendements expliquent également les différences de prix. Le 2RP est plus cher que du 6RH ( 27€/T d’écart ) sur orge ce qui est une économie non négligeable pour une brasserie industrielle. Mais d'un point de vue qualitatif, le 2RP est très légèrement au dessus du 2RH, lui même un peu au dessus du 6RH, et encore, le type variété a aussi sont importance.
Sélection des orges de brasserie
La sélection des orges de brasserie a pour but la promotion des orges de brasserie de qualité en France mais aussi à l’étranger, de limiter le nombre de variétés pour faciliter leur collecte et également d’améliorer la qualité des orges de brasserie par le processus de sélection et de croisement.
Les améliorations recherchées et attendues sont à tous les niveaux de la filière orge malt bière.
D’un point de vue agronomique, les améliorations recherchées sont :
-de bons rendements agricoles. ( quantité d’orge récoltée à l’hectare généralement en quintaux / hectare qx/ha )
-une bonne résistance aux maladies (utilisation réduite de produits phytosanitaires, bon pour l’environnement, pour le porte-monnaie de l’agriculteur et aussi de meilleurs rendements si la plante croît sans maladies)
- une meilleure réponse aux fertilisants pour cibler le taux de protéines idéal (mêmes avantages agro-econo-environnementaux que ci-dessus)
- la précocité de la variété.
D’un point de vue technologique, plusieurs paramètres importants sont caractéristiques d’une bonne orge :
-le calibrage : 90% des grains doivent faire plus de 2.5mm de diamètre.
- le taux de protéines doit être dans la fourchette 9.5/11.5 avec un optimum à 10.5.
-la dormance, période d’un à deux mois après la récolte pendant laquelle 60à 80% des grains dorment et ne germent pas encore, doit être alors la plus courte possible afin d’utiliser les orges nouvelle récolte le plus tôt possible en malterie.
- une enveloppe fine ( important pour le process de maltage et de brassage )
- et enfin le potentiel enzymatique et la quantité de matière extractible lors du brassage.
D’un point de vue maltage, ce qu’on attend de l’orge :
- Une prise d’eau rapide et uniforme. La finesse de l’enveloppe est un facteur de la rapidité de prise d’eau
- Une germination rapide
- Une désagrégation correcte lors du maltage.
- Un bon rendement au maltage ( rapport entre quantité d’orge utilisée / quantité de malt produit )
- De bonnes caractéristiques analytique sur le malt produit ( extrait, viscosité du moût, quantité de bêtaglucanes, friabilité, etc… )
Enfin le brasseur attend du malt fabriqué à partir de cette orge, donc utilisé dans sa brasserie :
- Un bon rendement de sa salle à brasser. En industriel, hors de question d’adapter le process aux matières premières pour des raisons de coûts de fabrication. Le produit doit rentrer dans un cahier des charges adapté pour optimiser la ligne de production et pour avoir un produit standardisé en bout de ligne.( La faute au consommateur qui râle tout le temps car il veut toujours le même produit -> On a peur du changement....
- Une bonne filtration de la maiche (une variété de 2RP, dont le nom m’échappe, perd facilement ses enveloppes et au cours du brassage, il y a des problèmes de mauvaises filtration, donc problème de rendement et surcoût pour le brasseur)
- Une filtration de sa bière correcte
- Enfin que sa bière ait les qualités organoleptiques d’une bonne bière (le terme bonne est subjectif, je vous l’accorde …)
Comment naissent les variétés d'orges ?
Les obtenteurs sont des sociétés au sein desquelles leurs équipes d’agronomes font des croisements entre les variétés. Le croisement se fait à partir de parents, ils pollinisent un épi à la floraison et sèment les graines obtenues pendant plusieurs années.
Inscription au catalogue français et sur la liste à orientation brassicole
La variété proposée par l’obtenteur au CTPS ( Comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées ) doit être obligatoirement améliorante. L’étude de cette variété se fait sur deux ans. Il en sort deux indices : Le DHS – Distinction, homogénéité, stabilité – et le VATE – valeur agronomique, technologique et environnementale –
La valeur agronomique est évaluée par le rendement des essais traités et non traités, la résistance aux maladies, la précocité et le résistance à la verse. La valeur technologique est évaluée par le calibrage du grain, le niveau de protéines, le poids spécifique et la dormance.
La variété est testée sur 12 lieux de cultures différents en France, 8 sont analysés pendant deux ans. A l’issue des deux ans, une moyenne DHS+VATE est faite sur les deux ans d’études. C’est la moyenne des deux ans qui figure sur le catalogue d’inscription.
4 micro maltages sont réalisés la première année (à la demande du sélectionneur) à partir d’échantillons de 4 lieux différents, dans le but de connaître la ‘maltabilité’ de l’orge. Dans l’analyse des malts, à chaque paramètre important est attribué un coefficient (Extrait sec 0.35, protéines totales 0.10, pouvoir diastasique 0.15, viscosité 0.15, friabilité 0.15, bêta lucanes 0.10) et on somme ces notes qui nous donne un IQ .
La recette de micro maltage est préétablie avant chaque campagne par la commission technique du CBMO. Cette recette est identique pour toutes les variétés pour avoir un bon critère de comparaison. Il y a juste une différence sur les espèces, les 2RP ont deux sous eau ( trempe ) alors que les orges d’hiver 2RH et 6RH ont 3 sous eau.
CBMO : Comité Bière Malt Orge. Ce comité est composé, pour les brasseurs, de 5 membres élus par la commission [ Heineken, ABInbev, Carlsberg ], pour les malteurs, elles est composée également de cinq membres élus par la commission [Boormalt, Cargill, Malteurop, Soufflet], 2 membres pour les sélectionneurs ( ou obtenteurs ) et deux membres de l’IFBM pour le centre technique.
A l’issue de la première année, un IQpartiel est établi et est transmis au CTPS et à l’obtenteur.
Ce dernier décide alors la poursuite des essais ou l’abandon de la variété. Si les essais sont satisfaisants, la variété est alors inscrite dans le catalogue des variétés à orientation brassicole.
8 micromaltages sont réalisés la deuxième année, toujours avec le calcul de l’IQ à l’issue des analyses.
L’IQ est comparé à des témoins ( SEBASTIAN+BELLINI pour les 2RP, VANESSA pour les 2RH et ESTEREL pour les 6RH ). L’IQ variété doit être supérieur ou égal à l’IQ témoin.
Le classement technologique peut alors être fait. Si le rapport IQvariété/IQtémoins est supérieur ou égal à 103%, la variété obtient la note A. La note passe à B si le rapport est compris entre 95% et 103%, et à C si inférieur à 95%. Pour les 2RP, le seuil de passage de B à C est à 99%.
En parallèle au classement technologique, l’indice Agronomique apparaît. Est pris en compte le rendement économique de la variété, moyenne des deux années avec la formule
REco= RTxCal+0.65x(RT-RTxCal)
RT: rendement brut de l’essai traité
Cal: calibrage du grain supérieur à 2.5mm
0.65 : coefficient de prise en compte de la valorisation des orgettes.
Le REco est comparé aux témoins.
L’indice agronomique ( IA ) est établi sur les taux de protéines et la résistance aux mosaïques ( maladie des céréales ) et est encore une fois comparé aux témoins.
Pour passer en tests semi industriels, la variété doit être inscrite sur la liste des variétés à orientation brassicole, l’IQ doit être A ou B, l’IA doit être supérieur au témoin. A partir de l’IQ de la première année, de la VATE des deux ans, du REco et de l’IA, on décide de calculer l’indice fonctionnel IF.
L’IF est établi via des paramètres en plus que ceux utilisés pour calculer l’IQ, auxquels on attribue un coefficient et cela permet de comparer la maltabilité de la variété testée aux témoins. Les paramètres pondérés pour le calcul de l’IF sont : l’atténuation limite, la désagrégation Calcofluor, l’homogénéité, le taux d’alpha amylases, les bêtaglucanes du moût, les FAN ( azote aminé libre ), la teneur en polyphénols, un test de filtration en brassin Tepral, l’indice de Hartong 45°C, la couleur KZ, le taux de précurseurs de DMS.
Après deux ans, on connaît le potentiel agronomique de la variété testée ( rendements, Indice Agronomique déterminés lors des essais aux champs), l’aptitude de l’orge à devenir du malt ( IQ et IF établis à l’issues des micromaltages). Le CBMO décide alors, en fonction des résultats, de passer les variétés en tests semi industriels ( ou validation technologique). En moyenne, seulement 5 variétés passent en validation technologique ( 6 en 2014, 3 en 2013 ).
Une année après l’inscription sur la liste des variétés admises en validation, les tests sont faits à l’IFBM sur des lots de 3 tonnes par variétés. 3 maltages de 600kg sont réalisés. 4 brassages de 17hl sont faits à partir de ce malt. Le diagramme de brassage est identique sur toutes les variétés testées. Tout au long du maltage, et du brassage, des analyses sont réalisées, ainsi que des tests gustatifs sur la bière. Le diagramme de brassage est décidé en début de campagne par le CBMO afin d’avoir une base de comparaison valable sur le comportement des variétés.
En creusant un peu, on voit que certaines variétés sont bloquées une année de plus en étape 2. Je n'ai pas trouvé d'explication à çà. Mais j'ai quelques pistes qui se présentent: 1 soit il y trop de variétés préférées et les silos sont débordés, et elles ne sont pas toutes acceptées par les brasseurs d'où un certain bord__l en malterie pour fabriquer, isoler, expedier, etc... 2 il n'y a pas de remplaçants alors on les faits redoubler en attendant qu'une grande décline et soit remplacée. 3 l'année de tests n'est pas favorable et ne permet pas d'avoir un base de comparaison solide.
Affaire à suivre...
Synthèse de la campagne écoulée sur les variétés
( juste dans ma région donc pas forcément parole d'évangile )
J'ai un point de vue de malteur. Ce qui m'intéresse, c'est le résultat du produit final, pour du malt pale.
Les paramètres importants sont variété-dépendants. L'extrait ( La quantité d'éléments qui vont se solubiliser lors du brassage: plus cette valeur est importante, plus le taux d'alcool est important pour une quantité de malt identique. ), les bêtaglucanes ( constituants des sacs qui entourent les granules d'amidon ). Les Bglu posent des problèmes de filtration car ils augmentent la viscosité du moût.
Au maltage, le taux de Bglu est process dépendant mais le climat peut aussi avoir une grande influence, comme cette année où les taux de Bglu ont été exceptionnellement haut sur les 6RH.
Enfin, deux paramètres liés au process: la couleur - pour un même process, une variété peut faire 6 à 7 de couleur EBC, l'autre 3.5 EBC - et les protéines solubles - idem que pour la couleur, on peut aller de 3.5 à 5.0 ( en % )-
Orge 2 rangs de printemps
SEBASTIAN: très bonne variété, très régulière depuis des années. Extrait correct, ne fait pas de couleur facilement, proteines totales et solubles moyennes cette campagne.
BEATRIX: un peu meilleure que SEBASTIAN en terme d'extrait et fait un peu plus de proteines solubles que SEBASTIAN
BELLINI: identique à SEBASTIAN en terme de qualité.
CONCERTO: pas de résultats connus
TIPPLE: variété en déclin, perso pas utilisée cette année
PRESTIGE: variété de moins en moins cultivée. Ne fait pas de couleur ni de solubles. Son défaut, des bêtaglucanes élevées ( mais possible lien avec la campagne )
SUNSHINE: en terme de qualité, égale BEATRIX
EXPLORER: = BEATRIX
GRACE: une variété que j'adore. Un beau nom, facilement maltable, beaucoup d'extrait, des proteines solubles, pas de couleur, le rêve du malteur.
IRINA: une variété à 84 d'extrait, et sans bêtaglucanes, le reste est top. Une variété prometteuse.
ZEPPELIN: idem IRINA mais solubles très basses.
HENLEY: en voie de disparition, en plus une mauvaise année pour HENLEY
NATASIA: bêtaglucanes trop élevées cette année. Peut être la fin ?
TRAVELER: = GRACE. pas essayée mais à suivre de près.
PROPINO: variété anglo saxonne aux résultas moyens comparée aux autres ( en toute objectivité !!! )
Et des variétés développées par Carlsberg et Heineken, sans lipoxygénases, ce qui augmente la DLC de la bière de plus d'un an. Leur nom commence par C et H
CHAPEAU
CHILL
CHEERS
CHARMAY
Caractéristiques identiques, à part peut être CHARMAY qui a tendance à faire des solubles.
Orges 2 rangs d'hiver
VANESSA: pas de résultats
SALAMANDRE: Extrait moyen, peut être un peu trop de bêtaglucanes mais attention, la campagne n'a pas été favorable.
METAXA: pas dans la liste mais a des résultats similaires à une 2RP.
Orges 6 rangs d'hiver
ESTEREL: LA VARIETE DE REFERENCE!!! Une année difficile en bêtaglucanes, mais pour tous les 6RH. Variété de moins en moins cultivée, hélas...
PASSEREL: pas de résultats
ARTURIO: variété en fin de vie, heureusement!!! Une catastrophe pour les malteurs.Mais pas pour les agriculteurs ce qui en a fait une variété dominante pendant longtemps.
AZUREL: meilleure qu'ARTURIO mais loin du niveau d'ESTEREL
CASINO, ETINCEL, ISOCEL: les deux derniers sont des enfants d'Esterel. Les trois variétés ont le potentiel de remplacer ESTEREL.
Dans l'ordre qualitatif, du légèrement en dessous à légèrement au dessus, 6RH, 2RH, 2RP. Mais c'est comme tout, un bon 6RH vaut un mauvais 2RP.
AMHA, en ce qui me concerne, j'utilise du 2RP par facilité ( ou paresse ) car je suis sûr que si ça merdouille, le malt ne sera pas en cause, JE serai en cause, comme dans 99% des cas.
Mais je n'hésiterai pas à utiliser du 6RH. Je compte même faire mon prochain brassin avec....
Et la variété ne change pas le goût de la bière. En 2RP, les brasseurs industriels acceptent 6 à 8 variété et c'est toujours la même _____ qui sort!
Références
- Le site CTPS
- La liste des variétés préférées des malteurs brasseurs français de 2014 , celle de 2015
- Les iches par variétés ( brassicole et fourragères ) sur le site Arvalis
- Source principale de cet article sur le forum : Jackpanda21